jeudi 11 février 2010

Fluidité


Une brochure très intéressante sur la question de la transsexualité, de l'intersexualité, de la fluidité entre les sexes et les genres.

Nous sommes touTEs en devenir

par Leslie Feinberg


C’est possible que la vue codée rose/bleu des vêtements et accessoires d’en­fants selon le genre te mette les nerfs à vif. Ou bien que tu sois une femme ou un homme qui se sente à l’aise dans ces catégories. Le mouvement de libération trans te défend dans tous les cas. Toute personne devrait avoir le droit de choisir entre des catégories de genre rose ou bleu, ou en toute autre nuan­ce de la palette. Au jour d’aujour­d’hui, ce droit nous est dénié. Mais nous pouvons, ensemble, en faire une réalité.

Voilà ce dont parle ce texte. Je suis un être humain qui aimerait qu’on ne s’adresse pas à lui en tant que madame ou monsieur. Je préfère user de pronoms de genre neutre [1] pour me définir. Je suis une personne qui se trouve face à une difficulté presque insurmontable lorsqu’on lui demande de cocher un F ou un M sur un papier administratif.

Je n’ai pas de problèmes d’être né avec un corps de femelle biologique. Et je ne m’identifie pas plus à un sexe intermédiaire. Seulement, je ne me sens pas de porter les concepts occidentaux dominants de ce à quoi « devrait » ressembler une fem­me ou un homme. Et cette réalité a gravement infléchi le déroulement de ma vie.

Je vous donne un exemple pratique. De décembre 1995 à décembre 1996, je me suis trouvé en train de crever d’une endocardite – une infection bactérienne qui se loge et prolifère dans les valvules du cœur. Un simple examen par culture des germes de mon sang aurait immédiatement révélé l’origine de mes terribles accès de fièvre. Huit semaines d’injec­tions permanentes d’antibiotiques en intraveineuses auraient éradiqué jusqu’à la dernière souche de bactéries dans les circuits de mon cœur. Cependant, ce que j’ai expérimenté fut une telle haine de la part de certains toubibs que j’ai failli mourir.

Je me rappelle que tard, un soir de décembre, mon amantE [2] et moi sommes arrivés aux urgences d’un hôpital, en pleine tempête de neige. J’avais plus de quarante de fièvre et celle-ci continuait à grimper, cependant que ma pression sanguine cognait dangereusement haut. Le personnel m’a immédiatement mis sous appareils de contrôle et s’est mis en devoir de faire tomber ma fièvre. Le médecin de garde commença à m’examiner physiquement. Lorsqu’il se rendit compte que mon anatomie était biologiquement femelle, il me renvoya un rictus qui en disait long sur ce qu’il pensait. Ne me quittant pas des yeux, il s’approcha d’une infirmière, qui était assise devant le tableau des instruments, et se mit à lui tripoter le cou et les épaules. Il lui parla de sexe pen­dant plusieurs minutes. Après cette démonstration appuyée de « sexualité nor­male », il me dit de m’habiller et quitta la pièce en faisant voler la porte. Encore dans le coltar, je me débattis pour arriver à enfiler mes habits, et pour arriver à me ren­dre compte de ce qui venait de se passer.

Le médecin revint lorsque je fus habillé. Il m’intima de quitter l’hôpital et de n’y jamais remettre les pieds. Je refusai. Je lui dis que je ne m’en irais pas tant qu’il ne me dirait pas pourquoi ma fièvre était si haute. Il me rétorqua : « C’est parce que tu es complètement tordue que tu as la fièvre ».

La façon dont m’a nui ce médecin, qui s’en prenait à moi en un moment où j’étais malade de manière catastrophique, aurait pu me coûter la vie. Le certificat de décès aurait porté : Endocardite. Mais en toute logique il y aurait du avoir écrit : Fanatisme.

Alors que mon/ma partenaire et moi nous fourrions dans une voiture glaciale, devant la porte des urgences, encore sous le choc de la haine de ce toubib, je me demandais combien de gentes avaient ainsi été privés de secours médicaux, en étant gravement malades – certainEs en fonction de l’écriteau d’apartheid « Blancs seulement » appendu à la porte des urgences, ou d’autres à cause des lésions bien visibles de sarcome de Kaposi [3], qui faisaient fuir le personnel loin de leurs lits. Je me souvenais d’une dartre qui ne voulait pas guérir, pour laquelle ma mère, dans les années 50, dut aller et retourner chez le docteur sans cesse. Je me souviens que celui-ci finit par lui donner une ordonnance pour du valium, parce qu’il avait décidé qu’elle était une hystérique. Lorsque ma mère finit par aller voir des spécialistes, ceux-ci lui dirent que le cancer avait déjà atteint son cerveau.

Le fanatisme lève son tribut sur la chair et sur le sang. Et si on les laisse inquestionnés, sans les défier, ces préjudices entraînent un climat empoisonné pour nous touTEs. ChacunE d’entre nous a un enjeu dans la revendication que chaque humain ait droit à un travail, à une protection, à la santé, à la dignité, au respect.

Je suis très heureux d’avoir cette occasion de lancer un débat avec toi, sur la question de ce qu’il est vital, aussi, de défendre le droit des individus à exprimer et à définir leur sexe et leur genre. Pour moi, c’est une question de vie ou de mort. Mais je n’en crois pas moins qu’elle a une gran­de signification pour toi. Toute ta vie tu as été bassinéE avec le dogme de ce que doit être une « vraie » femme ou un « vrai » homme. Et il y a des chances qu’il y ait des choses qui t’aient heurté dedans. Tu as renâclé devant l’idée qu’être une femme veut dire être maigre comme un clou, qui cultive l’émotionnel, et une tête de linotte quand il s’agit de s’occuper de ses comptes. Tu sais par tes tripes qu’être un hom­me n’a rien à voir avec des muscles gonflés, le courage inné, ou bien savoir se débrouiller avec une tronçonneuse. Tout cela, ce sont des caricatures. Et pourtant ces images ont fait leur trou en nous au moyen de la culture populaire, de l’édu­ca­tion, au cours des années. Et des messages insidieux, plus subtils, se tapissent dans les interstices de ces concepts sans nuances. Ces idées sur ce que devraient être de « vrais » hommes et femmes subvertissent la liberté d’expression individuelle. Ces mes­sages sur le genre vont et viennent dans notre cervelle dans un manège perpétuel, comme des publicités qu’on ne pourrait faire taire.

Pourtant, au cours de ma vie, j’ai aussi vu des soulèvements sociaux, qui défiaient cette doctrine sur le sexe et le genre. J’étais enfant à l’époque du Mac-Carthysme, des années 50 du « papa-sait-mieux », et j’ai atteint l’âge adulte au moment de la seconde vague de libération des femmes aux Etats-Unis. J’ai vu des changements dans la manière dont les gentes pensaient et parlaient de ce que signifiait être une femme ou un homme.

Aujourd’hui, les acquis du mouvement de libération des femmes des années 70 sont la cible des propagandistes de droite. Mais beaucoup, qui sont trop jeunes pour se rappeler ce qu’était la vie avant le mouvement féministe, doivent sa­voir que celui-ci a produit un développement de progrès extraordinaire, qui a obtenu des réformes économiques et sociales décisives. Et ce combat mené par les femmes et leurs alliés a lancé en avant la conscience humaine comme un pendule.

Ce mouvement a remplacé les manières courantes et restrictives de définition des humaines biologiques par le mot femme et a insisté sur ce mot avec force et fierté. Les femmes, dont la plupart étaient auparavant isolées, se rassemblèrent en groupes de prise de conscience. Leurs discussions – sur les racines de l’oppression des femmes et comment l’éradiquer – résonnèrent bien au delà des pièces dans lesquelles elles furent tenues. Le mouvement des femmes fit jaillir une mise en cause massive de la dévalorisation systématique, de la violence, de la discrimination dont souffraient les femmes dans cette société. Et cette prise de conscience fit changer bien des manières selon lesquelles femmes et hommes pensaient sur elleux-mêmes, et menaient leurs relations mutuelles. Rétrospectivement, cependant, nous ne devons pas oublier que ces discussions foisonnantes n’étaient pas seulement organisées afin de parler de l’op­pres­sion. Elles furent aussi un échange gigantesque sur comment agir pour combattre les attitudes misogynes institutionnalisées, le viol, les violences, l’illégalité de l’avortement, les discriminations au travail et dans l’éducation, et d’autres manières dont les femmes étaient socialement et économiquement défavorisées.

Ce fut un grand pas en avant pour l’humanité. Et même la période de réaction politique qui suivit n’a pas été capable d’abolir tous les gains venant de cet important mouvement social.

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