samedi 13 octobre 2012

Pour en finir avec la "pop" culture du viol

    AVERTISSEMENT: Cet article traite de viol et de violence sexuelle.
    Ça nous arrive à toutes de se faire désagréablement surprendre par une scène de viol lorsqu'on regarde la télévision, un film, qu'on lit un roman ou qu'on joue un jeu vidéo. Ça nous arrive à toutes de serrer les dents devant la violence, de détourner le regard pour l'éviter, de fermer le livre par dégoût. Ça nous arrive à toutes parce que le viol est partout, tout le temps.

     

     Nous vivons dans une culture du viol. C'est-à-dire "une culture dans laquelle le viol et la violence sexuelle sont communs et dans laquelle les attitudes, normes, pratiques et médias normalisent, excusent, tolèrent et même approuvent la violence sexuelle. Des comportements associés à la culture du viol sont: blâmer les victimes, objectiver sexuellement et banaliser le viol."

  



     On a eu plus que notre part d'exemples de tout cela dans les dernières années. Il y a tous les cas où les femmes sont "responsables" de leur viol à cause de leur habillement, de leur comportement, de leurs habitudes de vie. Il y a tous les cas où les agresseurs sont acquittés parce que la justice refuse de croire les victimes, etc.

      Au delà de la triste et choquante réalité que vivent les femmes tous les jours, on est confrontées à des représentations (plus ou moins graphiques et violentes) du viol et de la violence sexuelle tout autour de nous, en tout temps. Les auteur-e-s de romans, pour la télévision, les films, etc, l'utilisent à toutes les sauces. Le site TV Tropes, qui regroupe les tendances ou les clichés que l'on retrouve continuellement au cinéma, dénombre pas moins d'une soixantaine de "tropes" liés au viol et au harcèlement sexuel. Je vous laisse explorer la liste.

     Il y a des cas où le viol est utilisé paresseusement comme moyen de choquer facilement les gens. C'est le cas des blagues de viol qui sont utilisées à profusion dernièrement dans les sitcoms américaines, mais aussi par des humoristes bien connus. Il semble que ce soit un must de briser les barrières et conventions en faisant des blagues sur le viol.(sic) Il y a eu un cas aux États-Unis où un humoriste sur scène se plaisait à dire que les blagues de viol était toujours drôles. Quand une spectatrice choquée lui a dit qu'au contraire ce n'était jamais le cas, il a répondu quelque chose du genre: "Ce ne serait pas drôle si une femme se faisait violer par cinq hommes? Ici, maintenant?" Suite à l'hilarité de la foule et à son malaise personnel, la femme a quitté l'endroit. Après qu'elle ait dénoncé l'évènement sur Internet, de nombreux autres humoristes se sont portés à la défense de ce comédien. Kate Harding propose ici "15 blagues de viol qui fonctionnent."

     Dans les films et à la télévision, le viol sert à choquer. Il sert aussi de prétexte pour montrer de la nudité et titiller les spectateurs. Dans les dernières années, j'ai vu des scènes de viol vraiment atroces à l'écran et très peu d'entre elles me semblaient "justifiées". Prenez n'importe quel film où une bande de personnes sont prisonnières, dans un monde post-apocalyptique ou juste dans un monde violent et vous êtes sûres d'en trouver à profusion. Je pense à L'aveuglement, The Girl with the Dragon Tattoo, 28 jours plus tard... Le viol est ici utilisé pour montrer la barbarie d'un monde maintenant sans règle, bla bla bla. Le problème, c'est que ça représente plutôt ce qui se passe actuellement à tous les jours. Il faut savoir questionner la pertinence d'une scène de viol dans un film. Qu'est-ce que la scène apporte? Est-elle nécessaire à l'histoire? Le personnage aurait-il pu se développer autrement? Y avait-il d'autres manières de le présenter?

     Il y a aussi le viol comme façon de nous faire "aimer" une protagoniste, de la victimiser. Ça sert dans le cas où la femme va ensuite chercher une vengeance ou dans ceux où elle va devenir une super ninja à cause de son expérience, etc. Par exemple, le tout nouveau chapitre de la série des jeux Tomb Raider nous présente une nouvelle origine pour Lara Croft. Dans la bande-annonce du jeu, on voit que Lara subit une tentative de viol. On peut se demander ce que cela apporte au personnage, considérant tous les autres évènements traumatisants qu'elle doit apparemment subir dans le jeu. Quand on lui demande pourquoi rendre Lara si vulnérable, le producteur exécutif répond que les joueurs vont avoir envie de protéger Lara (parce que c'est une femme!). C'est dommage, parce que c'est une représentation des femmes de plus qui ne sera plus "positive". Malgré l'accent mis sur sa poitrine, Lara était un personnage intelligent et aventureux. Elle se retrouvera maintenant dans une situation où elle est victime et doit être protégée.

     Finalement, on a récemment demandé à une auteure de Fantasy "quand son personnage allait être violé, car c'était nécessaire pour que son histoire soit réaliste." Elle a répondu ce qui suit: 

Le viol en fiction peut être une chose puissante et importante. Il peut être utilisé pour faire d'importantes déclarations ou pour pour faire avancer une histoire importante. C'est important de montrer des choses inconfortables dans la fiction. Je ne dis pas qu'il ne faut jamais écrire sur le viol. Mais le viol en fiction peut aussi être problématique et dénigrant quand il est utilisé pour remettre des héroïnes impudentes à leur place.
Je ne veux pas écrire ça. Je ne comprends pas, ne vais pas comprendre, refuse de comprendre pourquoi le viol doit être sur la table pour chaque histoire avec une femme protagoniste ou même un personnage féminin secondaire fort. Pourquoi est-il assumé que je suis "irréaliste" quand je dis qu'aucun de mes personnages ne sera violé? Pourquoi cela "enlève-t-il la tension de l'histoire"? Il y a déjà assez de tension sans que j'écrive à propos de quelque chose qui me fâche moi et plein de mes lecteurs. Merci. (Ma traduction.)

Notre culture du viol est tellement étendue, tellement incrustée partout que tout cela ne représente qu'un infime survol de la réalité. Le problème, ce n'est pas que l'on entende parler de viol, que l'on retrouve le viol dans la culture populaire. Au contraire, il a fallut tellement de temps pour le sortir du secret, pour oser en parler. L'idée n'est surtout pas d'effacer la question du viol de nos représentations culturelles, mais plutôt de cesser de l'utiliser comme un raccourci paresseux et offensant pour servir des buts de comédie, d'horreur ou de victimisation. La violence sexuelle est une réalité et comme toutes les autres réalités, elle doit être visibilisée. Mais il est plus que temps que l'on se questionne sur la manière dont cela est fait actuellement et que l'on cesse d'accepter d'être exposées à de la violence gratuite tous les jours.