mardi 28 mai 2013

L'avortement sexo-sélectif : L'hypocrisie des anti-choix

En septembre 2012, le député conservateur Mark Warawa a déposé la motion 408. Cette motion vise à « condamner la discrimination exercée contre les femmes au moyen d’avortements sexo-sélectifs. » Cette initiative a été considérée par l'opposition comme une tentative détournée de rouvrir le débat sur l'avortement et elle n’a pas été traitée. D’ailleurs, la motion a été déposée tout de suite après l'échec de celle de son collègue Stephen Woodworth, M-132,  qui consistait à la formation d’un comité spécial pour déterminer si le foetus devrait être considéré comme un être humain. Malgré le rejet de la motion,  l’avortement sexo-sélectif continue de faire jaser et la droite conservatrice en a fait son nouvel argument pour restreindre le droit à l’avortement.  
 
C’est dans ce contexte que le journal La Presse du lundi 27 mai 2013 publie un dossier de deux pages sur ce qu’un des articles nomme la « Sélection fatale ». L’amalgame entre le contenu des articles et le choix des titres fait en sorte que sur le fond le dossier semble être une courroie de transmission des arguments de la droite conservatrice canadienne. 

Reprenons seulement quelques titres du dossier :

« L’improbable féministe »

On explique dans le paragraphe qui suit que devant le grave problème des avortements sexo-sélectif, Mark Warawa a décidé d’agir et de condamner la discrimination envers les filles. On le présente comme «  l’improbable porte-étendard de la lutte pour les droits des femmes ». Bref, le député conservateur est un grand défenseur des droits humains et des petites filles et cela n’a rien à voir avec le droit à l’avortement…

C’est oublier  un fait important, Mark Warawa est l'un des plus zélés députés anti-choix du caucus conservateur.   D’ailleurs, son parti politique a effectué une longue liste de mesures qui nuisent à l’égalité entre les hommes et femmes.
Sous Stephen Harper, les conservateurs ont aboli le programme de services de garde universels, abandonné la législation sur l'équité salariale, fermé la plupart des bureaux régionaux de Condition féminine Canada, modifié les critères des programmes de financement de Condition féminine Canada pour mettre fin aux activités de défense de droits et de représentation politique en faveur de modifications législatives, coupé le Programme de contestation judiciaire, interdit aux travailleurs du secteur public de porter plainte en matière d'équité salariale, refusé de financer l'accès à un avortement sans danger pour les femmes dans les pays en développement, sabré le financement de dizaines de groupes de défense des droits des femmes, éliminé le formulaire long obligatoire du recensement, augmenté l'âge d'admissibilité à la retraite, détruit le registre des armes à feu, omis de tenir une enquête publique sur les femmes autochtones disparues et coupé dans les budgets des services de santé aux Autochtones, etc.

Vaut mieux être méfiante quand un député clame sur toutes les tribunes se soucier des femmes quand son parti à une liste d’accomplissements aussi rétrogrades pour celles-ci.

 « Un paradoxe pour les féministes »
C’est carrément le titre d’un des articles. On peut y lire : « Comment peuvent-elles ignorer cette discrimination extrême envers les filles au nom du droit à l’avortement en toutes circonstances? » On y souligne le fait que pour « les féministes » les avortements sexo-sélectif créeraient un paradoxe entre le libre-choix et la discrimination envers les femmes.  On y dit que peu d’entre elles dénoncent cette pratique.

Est-ce qu’on sous-entend que les féministes sont en accord avec les avortements sexo-sélectifs? On mélange ici le fait de dénoncer une pratique et les moyens qu’on compte employés pour changer la situation. Ce n’est pas parce que les féministes refusent d’employer des mesures d’interdiction qu’elles sont en accord avec les avortements sexo-sélectifs.  En fait, celles-ci prônent des pistes de solution qui sont probablement bien plus efficaces que la restriction au droit l’avortement c’est-à-dire la construction d’une société égalitaire où une fille a la même «valeur» qu’un garçon. Il n’y a pas de paradoxe féministe. Le message des pro-choix est tout à fait cohérent, ce n’est pas la criminalisation de l’avortement qui va résoudre les problèmes de discrimination. On ne combat pas une discrimination envers les femmes en restreignant  les droits des femmes.

« L’avortement sans limite »
On enfonce le clou dans ce paragraphe en mentionnant que plusieurs pays ont interdit l’avortement sexo-sélectif et que le Canada n’a pas légiféré sur la question. On essaie d’insinuer que c’est le manque  d’encadrement de la pratique au Canada qui serait responsable de l’émergence de la problématique.  D’ailleurs les termes « avortement en toutes circonstances », « sans limite » ont une forte connotation et s’approche des mythes concernant l’avortement notamment qu’il y en a trop, que les femmes l’utilisent comme moyen de contraception, etc.

On oublie de mentionner que les initiatives de criminalisation dans d’autres pays notamment l’Inde sont inefficaces.  Effectivement, les femmes vont se tourner vers des avortements illégaux ou dans certain cas subir de la violence familiale durant leur grossesse.  Les exemples de mesures qui semblent les plus efficaces sont celles qui visent à lutter pour les droits des femmes notamment avec des campagnes de valorisation des filles, l’accès à l’éducation et au marché du travail.

« Un phénomène en émergence »
Le dossier en entier laisse entendre que cette pratique est très présente au Canada. On y cite une étude qui compare les ratios des naissances fille/garçon selon le pays d’origine de la mère. Les résultats montrent que les mères d’origine indienne donnent naissance à plus de garçons que de filles.

Cette étude ne fait pourtant pas consensus dans la communauté scientifique et certain-es chercheurs-euses contestent ces résultats. De plus, la différence statistique n’est peut-être pas forcément significative ou dû à l’avortement sexo-sélectif. Bref, sans minimiser que c’est possiblement une réalité au Canada, il faut rester critique des études à ce sujet et ne pas être alarmiste.

Une analyse féministe et anti-raciste

Ce dossier de La Presse n’est qu’un exemple de la propagation du discours anti-choix qui se sert habilement de l'enjeu des avortements sexo-sélectif. Le sujet s’impose et inévitablement il faudra que le mouvement pro-choix se l’approprie et y oppose un discours féministe et anti-raciste. Effectivement, la motion du député Warawa aurait eu des conséquences importantes sur les femmes racisées. Si une loi interdisait l’avortement sexo-sélectif, comment l’appliquerais-t-on? Toutes les femmes qui semblent d’origine indiennes ou chinoises vont-elles devoir être interrogées sur leurs motifs?  Va-t-on leur refuser un avortement et ainsi les pousser à recourir à des moyens illégaux? Tout cela dans le but de protéger les femmes de la discrimination?

Une telles mesure stigmatiserait les femmes racisées et encouragement le profilage racial. Certaines citoyennes sur la base de présomptions raciales se verraient privés d’un droit reconnu pour les autres. On décèle également le vieux message paternaliste qui dit qu’on ne doit pas faire confiance aux femmes dans leurs décisions concernant leurs propres corps.

Est-ce que forcer une femme à donner naissance à une fille qui n’est pas désirée est réellement une solution contre la discrimination? Ne devront-on pas plutôt travailler à améliorer les conditions de vie des femmes et des filles et faire en sorte que naître fille au Canada soit aussi valorisé et sécuritaire que naître garçon. Bien entendu, les conservateurs et la droite religieuse ne vous parlerons pas de ces filles après leur naissance, de leurs conditions de vie ou des discriminations qu’elles vivent. Là-dessus c’est le silence radio, tout comme c’est le cas au sujet de la plupart des dossiers qui touchent les femmes. On n’a qu’à penser aux femmes autochtones disparues et assassinées ou aux coupures dans l’aide aux réfugiées. Que les femmes naissent dans des sociétés inégalitaires qui jugent qu’elles « valent » moins que les hommes est le moindre de leurs soucis. Ce qui est à l’agenda, ce n’est pas l’atteinte de l’égalité entre les hommes et les femmes, mais bel et bien s’attaquer aux droits des femmes. 


Pour en savoir plus

La réplique › L’avortement - Interdire l’avortement sexo-sélectif, un leurre?

La motion contre les avortements sexo-sélectifs ne sera pas votée aux Communes

Motion 408 : une imposture

Motion 408 and sex-selection abortion: Pretending to care about women

Sexism, ableism and other anti-choice claims: What you need to know about Motion 408

Margaret Somerville's concern for the status of women

Un outil de réflexion sur l’avortement sexo-sélectif (en anglais)
Taking a Stand: Tools for Action on Sex Selection, un projet
Collaboratif de Generations Ahead, National Pacific American Women’s Forum (NAPAWF) and Asian Communities for Reproductive Justice (ACRJ).