Le chaos en Haïti multiplie les dangers qui guettent les filles
Traduit pour Sisyphe par Marie Savoie
Déjà vulnérables et très exposées à la violence sexuelle, elles perdent leurs lieux-refuges.
Bien avant que le séisme ne dévaste leur pays, bien avant que les écoles où elles pouvaient être en sécurité ne s’écroulent, les fillettes et les jeunes femmes étaient déjà les personnes les plus vulnérables en Haïti.
Au lendemain de la catastrophe, on craint de plus en plus pour la sécurité des filles dans ce pays où des centaines de milliers d‘enfants vivent en quasi-esclavage et où les filles les plus pauvres des bidonvilles de Port-au-Prince sont victimes de viols collectifs.
« Nous déployons beaucoup d’efforts pour porter secours à la population, mais il faut prendre des mesures pour protéger les femmes et les fillettes contre la brutalité et les agressions sexuelles, ce qui était déjà difficile en temps normal », a indiqué Gerardo Ducos, chercheur d’Amnistie International pour Haïti.
En juin 2008, une organisation de femmes haïtiennes a fait état de 238 viols survenus au cours des 18 mois précédents : 140 des victimes étaient des filles âgées de 19 mois à 18 ans.
Ce n’est qu’en 2005 que le viol est devenu un acte criminel en Haïti, et les poursuites sont extrêmement rares. D’après les propos d’un journaliste du Guardian rapportés dans un documentaire, seulement 12 affaires de viol ont abouti à un procès l’année dernière et l’unité de la police chargée de la protection de l’enfance ne compte que 12 agents pour 4 millions d’enfants.
Stéphanie, victime d’un viol pendant le carnaval de février 2007, s’est confiée à Amnistie Internationale : « J’ai beaucoup trop peur pour porter plainte à la police. Mes agresseurs m’ont avertie de ne pas les dénoncer, même si je ne les connaissais pas. C’est si humiliant. Je ne pouvais pas en parler. »
Une jeune Haïtienne du nom de Laure a expliqué à Amnistie Internationale que le propriétaire du logement où habitait sa famille l’avait forcée à avoir des rapports sexuels avec lui, parfois à la pointe du fusil. Sinon, il menaçait de jeter sa famille à la rue. Quand sa mère a porté plainte à la police, elle a été rouée de coups et Laure a été violée de nouveau.
Les fillettes et les femmes d’Haïti ont besoin de soutien plus que jamais, souligne Yifat Susskind, directrice des politiques et des communications pour MADRE, une organisation de défense des droits des femmes basée à New York. En temps de crise, ce sont elles qui s’occupent des autres et prennent en charge les plus faibles. Elle ajoute qu’un pays se rebâtit souvent sur les épaules des femmes.
« Elle ont besoin d’un appui proportionnel au fardeau qu’elles portent. Mais loin d’être aidées et soutenues, les filles et les femmes sont la cible de toutes sortes d’abus, et particulièrement de violence sexuelle. »
Rappelant que la prison centrale s’est effondrée, elle signale que les normes sociales qui régissent les comportements en temps normal peuvent disparaître à l’occasion d’une catastrophe nationale. « Le tissu social est détruit et les interdits contre le viol, l’inceste et les explosions de violence à la moindre provocation disparaissent eux aussi. »
« Un des aspects les moins glorieux de la nature humaine est l’émergence de la loi du plus fort en situation de crise. »
Pour les fillettes et les femmes, il y a aussi des pertes moins tangibles, ajoute-t-elle.
« Dans bien des cas, la grand-mère est la seule personne à qui une jeune fille peut s’adresser quand elle a besoin de protection ou de réconfort. Mais à l’heure actuelle, elle ne sait même pas si sa grand-mère est encore vivante. Son école, le seul endroit sûr où elle pouvait se rendre tous les jours, n’est plus qu’un tas de décombres. »
« Même si les fillettes sont plus nombreuses à s’inscrire à l’école que les garçons, beaucoup de filles abandonnent l’école après trois mois », a déclaré Ducos, un Canadien rejoint en Angleterre. Elles s’inscrivent de nouveau l’année suivante mais décrochent encore une fois, souvent pour prendre soin de leurs frères et sœurs plus jeunes ou pour faire les corvées domestiques. »
D’après les estimations de l’UNICEF, 100 000 jeunes Haïtiennes travaillaient dans le service domestique en 2007, mais selon l’organisme CARE, il y en aurait deux fois plus.
Les parents indigents confient parfois leurs enfants à d’autres familles, dans l’espoir qu’ils auront à tout le moins un toit et de quoi manger. Peu de ces enfants – appelés restavek - fréquentent l’école. Ce mot péjoratif, dérivé de « rester avec » laisse entendre que leurs familles les ont abandonnés.
Par ailleurs, Amnistie fait état de l’existence de courtiers qui cherchent à repérer les enfants, notamment ceux de familles nombreuses. Ils « leurrent les parents par de fausses promesses, en les assurant que leurs enfants auront ainsi un meilleur avenir ».
Susskind explique : « Si vous craignez que votre enfant ne meure de faim, vous le confiez à une famille qui a les moyens de le nourrir. On peut penser qu’une mère ne pourrait jamais faire une chose pareille, mais il arrive que ce soit la meilleure option à ses yeux. »
Il y a aussi d’autres sujets d’inquiétude. « Qu’adviendra-t-il des orphelins ? se demande Ducos. On sait qu’il y avait déjà un trafic d’enfants haïtiens vers d’autres pays. De faux orphelinats opéraient illégalement et envoyaient les enfants en République dominicaine pour en faire de petits mendiants. Le traitement des orphelins au lendemain du séisme pourrait bien s’avérer une autre catastrophe humanitaire. »
Trois adolescentes de 18 et 19 ans qui vivaient dans un orphelinat pour filles fondé par le détective retraité Frank Chauvin ont péri lors du tremblement de terre. Un employé est mort et deux autres sont portés disparus.
Le Foyer des Filles de Dieu, où résident 70 filles âgées de 3 à 19 ans, n’aurait subi que de légers dommages, d’après Chauvin, qui a fondé cet orphelinat avec un éducateur haïtien en 1987, après avoir visité un centre de détention pour les enfants abandonnés où les conditions étaient lamentables.
« En ouvrant la porte, j’ai aperçu 125 fillettes assises là, sous un soleil de plomb. Il n’y a avait absolument rien pour elles, a-t-il indiqué. J’ai décidé de fonder une organisation pour les prendre en charge et de leur apprendre à lire et à écrire pour qu’elles puissent subvenir à leurs besoins après avoir quitté l’orphelinat. »
« Avant, elles n’avaient pas la moindre chance d’aller à l’école, d’ajouter ce père de 10 enfants âgé de 76 ans, membre de l’Ordre du Canada. À peine sorties de l’enfance, elles devaient faire le travail d’une femme avec tout ce que cela comporte. »
# Source : « Danger grows fort Haitian girls amid chaos. Already at high risk of sexual violence, vulnerable lose their safe havens », The Toronto Star (thestar.com), le 17 janvier 2010.
# Traduction pour Sisyphe : Marie Savoie
Mis en ligne sur Sisyphe, le 19 janvier 2010
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