jeudi 20 janvier 2011

Gender policing; Justin Bieber et les tests de féminité dans le sport


‘’Gender policing’’ (difficilement traduisible en français) fait référence aux attitudes qui imposent une perception du genre à une autre personne. Le terme policing ne fait pas allusion à une institution organisée comme la police, mais à une norme sociale très bien ancrée qui vient renforcer et maintenir la vision binaire du genre, les idéaux sur la féminité/masculinité et l’hétérosexualité. Toute transgression de cette norme peut être soulignée par des comportements de gender policing. Ainsi, une personne qui ne correspond pas à la vision de la société sur son genre devra subir les railleries, critiques et autres violences verbales allant parfois jusqu’à la violence physique et sexuelle. Deux cas de gender policing dans l’actualité m’ont le plus marqués : Justin Bieber et les tests de féminité dans le sport.

Note : Pour les incultes (ou les chanceux et chanceuses selon le point de vue) qui, comme moi il y a quelques mois, ne savent pas qui est Justin Bieber, c’est un jeune chanteur américain de musique pop de 16 ans.

Personnellement, je n’aime pas particulièrement cet artiste et encore moins sa musique, mais au-delà des goûts personnels, le traitement qui lui est réservé par une partie du public est assez pénible et révélateur…

Voici quelques blagues qui circulent sur le web :

I called Justin Bieber gay, and he slapped me with his purse.
(Trad: J’ai traité Justin Bieber de gay et il m’a frappé avec sa sacoche)

Justin Bieber is the Brand Ambassadors of sanitary pads.
(Trad: Justin Bieber est le nouvel ambassadeur des serviettes sanitaires.)

Justin Beiber will star on next transformer movie , his name in transformer will be “Faggatron” .
(Trad : Justin Bieber va jouer dans le prochain film de Transformers, son nom de Transformers va être ‘’Tapettron ‘’)

et maintenant des noms de groupes sur facebook

“What is Justin Bieber doing out of the Kitchen?”
(Trad: Que fais Justin Bieber hors de la cuisine)

“It is an offence that we need to share the same gender as Justin Bieber”
( Trad: C’est une insulte de partager le même genre que Justin Bieber)

“If Justin Bieber was a woman…oh wait, never mind”
( Trad: Si Justin Bieber était une femme … oh attendez, peu importe)

“Leave Justin Bieber alone, stop making fun of HER!”
( Trad: Laissez tranquille Justin Bieber, arrêtez de vous moquer d’ELLE)

Who thinks Justin Bieber is gay and sings like a girl?
(Trad: Qui pense que Justin Bieber est gay et chante comme une fille?)

I HATE justin bieber because he sounds like a girl !!
(Trad: Je DÉTESTE Justin Bieber parce qu’il chante comme une fille)


Comme souligné dans un article de Fbomb : Gender Policing and Justin Bieber, qu’est ce que toutes ces blagues et commentaires sur le genre de Justin Bieber révèlent sur la vision de la société sur le genre féminin? (J’ajouterais également sur notre vision de l’homosexualité)

Son physique plus féminin et le ton de sa voix font en sorte qu’il ne cadre pas parfaitement à l’image de la virilité associé à son genre. Le gender policing est alors utilisé par les personnes qui cadrent mieux dans le moule masculin, les «vrais» mâles, pour renforcer les limites qui encadrent leur genre. Ainsi, une personne qui sort de ces limites va être traité de gai, tapette, fif, efféminé pour en quelque sorte le remettre à sa place. Dans le cas de Bieber, il semble qu’il soit tellement considéré comme non mâle qu’on l’a associé au genre féminin. Inévitablement, si on survalorise la masculinité, toutes les manifestations de son contraire, comme la féminité, chez un garçon, vont être dénigrées et pointées du doigt comme des choses dégradantes. (Un autre post faisant allusion à cet aspect)

Un autre homme qui a dû subir des commentaires désobligeants qui illustrent bien le gender policing est le patineur artistique Johnny Weir. En effet, suite à l’une de ses performances, des commentateurs sportifs, Alain Goldberg et Claude Mailhot, ont émis des commentaires en ondes sur son apparence. Ils argumentent à l’effet que Weir devrait passer des tests pour vérifier sa masculinité ou sa féminité, ils s’interrogent en rigolant s’il ne devrait pas être en compétition chez les femmes et vont jusqu’à dire qu’il nuit à son sport. Ces propos ont d’ailleurs été dénoncés par le Conseil québécois des gais et lesbiennes (CQGL).

Extrait : « Il a du rouge à lèvres. Il s’habille de façon féminine. Il essaie d’être le plus féminin possible sur la patinoire. Ça laisse une image assez amère sur le patinage artistique. C’est très ennuyeux parce qu’on pense que tous les garçons qui patinent deviendront comme lui.» — Alain Goldberg
Johnny Weir

Ces propos révèlent qu’un homme qui s’approche des caractéristiques associées au féminin est considéré comme une honte et il est permis de le ridiculiser sur la place publique (donc de faire preuve de gender policing)


Bref, quand tu ne cadre pas avec le modèle du «vrai mâle viril», le premier moyen de t’insulter est de te traiter d’homosexuel et ensuite de te traiter de femme… assez éloquent sur la valeur qu’on donne à ces deux groupes de personnes.

Un peu dans le même ordre d’idée, les tests de féminité dans le domaine du sport font partie, de mon point vue, des attitudes de gender policing, car ils consistent à remettre en cause le genre des athlètes féminines lorsqu’elles performent.

Un test de féminité est un test pratiqué lors des compétitions sportives pour déterminer si les sportives professionnelles ne seraient pas des hermaphrodites ou des femmes androgynes. (wiki)

Ils sont très contestés, car ils ne sont pas totalement fiables et le sexe génétique est extrêmement complexe. Chez des personnes intersexes, il est presque impossible de «classer» la personne comme mâle ou femelle. De plus, ne tenir compte que du sexe génétique occulte l’influence du sexe social, psychologique et physique de la personne. De plus, les résultats des tests ont des effets stigmatisants sur les personnes qui les subissent.

Le cas de Caster Semenya qui a fait les manchettes en 2009 représente bien l’attitude générale entourant les tests de féminité. Elle remporte aisément la finale du 800 mètres féminin aux championnats du monde d'athlétisme à Berlin. Sa victoire fait rapidement les manchettes, mais contrairement à ce qu’on pourrait croire ce n’était pas pour rapporter son exploit, mais pour parler de doutes visuels sur son genre biologique. On la juge trop musclée, sans poitrine, avec un bassin trop étroit et trop de pilosité, bref son apparence est trop non conforme aux stéréotypes féminins, elle ressemble à un homme. On lui fera alors passer des tests de féminité qui révèleront qu’elle serait hermaphrodite.



Quant est t’il du côté des hommes? Il semble que quand ceux-ci ont des performances incroyables, on est soit admiratif ou on les soumet à des tests de dopage. On ne remet pas leur genre en question, en fait la performance physique vient confirmer leur virilité.

Je trouve les derniers questionnements d’un article, que j’ai lu et vous conseille sur le sujet, particulièrement pertinents : Pourquoi lui refuser de concourir dans la catégorie qui correspond à ce qu'elle pense être au plus profond d'elle-même ? Enfin, pourquoi évoquer le dopage quand l'exploit est masculin et mettre en doute l'identité sexuée de l'athlète quand l'exploit est féminin?

Bref, le gender policing vient donc tenter de renforcer l’idée que seul deux genres existent et qu’ils correspondent à deux modèle très précis, la masculinité/féminité, dont il ne faut pas déroger. En plus, il sous-tend qu’entre les deux modèles, la féminité et les caractéristiques qui y sont relié sont inférieures et quand elles sont présentes chez un homme, elles sont dégradantes.

G.S

3 commentaires:

  1. Bonjour!

    Je suis Rédactrice en chef du portail www.altercite.com et je souhaite vous signaler que j'ai grandement apprécié ce texte. Il vise très juste.

    Nous aimerions le publier dans la section opinion de notre site et je souhaiterait avoir votre accord pour cela. Bien sûr, nous indiqueront la référence à votre blogue.

    Merci de me répondre à redaction@alterheros.com

    Au plaisir!
    Julie-Maude Beauchesne

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  2. Très intéressante perspective. Je suis justement en train de traduire un livre de John Stoltenberg ("Refusing to Be a Man") qui conteste cette catégorisation de genre et la répression des gens qui y dérogent.
    Par contre, je crois qu'il faut ajouter quelques facteurs - et surtout la misogynie, à laquelle vous faites allusion, c'est vrai) à l'équation pour comprendre le phénomène. Beiber et Weir sont insultés dans le but de protéger une virilité en tant que bien distante d'un féminin méprisé, sous-payé, exploité comme chair à commerce. Mais ce féminin qui doit continuer à adorer le masculin. Je crois que ce qui frustre particulièrement leurs détracteurs c'est que Beiber soit une méga-star aux yeux des jeunes femmes (comme l'était Prince et bien d'autres chanteurs androgynes), que Weir ne soit peut-être pas gay. Et que ces *hommes* soient au sommet de leur art sans jouer le jeu de la virilité, en assumant des valeurs ethétiques associées aux femmes - sans les parodier comme dans le "camp", souvent misogyne, d'une Mado Lamothe.
    Par ailleurs, le "gender policing" (encadrement de genre) devrait être également reconnu dans son application aux femmes, pas seulement à celles qui transgressent ouvertement en brouillant leur appartenance de genre, mais à toutes les femmes, soumises bien plus systématiquement aux normes de fémininité (pensons aux poils) que les hommes à celles, relativement élastiques pour nous, de l'apparence.

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  3. En Afrique du Sud, le gender policing passe par le viol des femmes lesbiennes ou soupçonnées de l'être: http://www.courrierinternational.com/breve/2011/01/20/stop-aux-viols-homophobes
    Mais est-ce que tout viol - y compris ceux des femmes hétéro, des enfants et des hommes - n'est pas l'assignation forcée de la victime à un rôle d'opprimé-e de genre?)

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