jeudi 1 août 2013

Cosplay, consentement et sexisme en milieu geek

Dernièrement, le sujet du sexisme dans le monde geek s’est emparé du web, notamment cet article qui a largement circulé : «Sexisme chez les geeks : Pourquoi notre communauté est malade, et comment y remédier» et la sortie des premières capsules de Feminist Frequency sur la représentation des femmes dans les jeux vidéos.

Loin de s’essouffler, ces réflexions féministes se poursuivent durant la période estivale. D'ailleurs, ce moment de l'année est marqué par plusieurs conventions où s’exerce un incontournable hobby dans le milieu geek, le cosplay. On retrouve de ces événements au Québec, notamment Le Comiccon de Montréal consacré à la culture populaire (science-fiction, l’horreur, l’anime, les jeux vidéo, les jeux sur table, les comic books) et  l’Otakuthon, un festival d'anime.

Pour les néophytes, qu’est-ce que le cosplay? Le cosplay est une activité qui consiste à se déguiser en personnages de bande dessinée, d’anime, de jeu vidéo, de manga, de film, de télévision ou de livre. À ne pas confondre avec  les costumes d’Halloween, les cosplayers (les personnes qui se costument) se démarquent par un grand souci du détail pour reproduire le costume et jouer le personnage.

Bien que les personnages soient fictifs, le monde du cosplay n’existe pas en vase clos. Ainsi, la communauté du cosplay fait face aux mêmes problématiques et oppressions qu’on peut observer dans la société en général.


Personnages féminins
Les cosplayers interprètent les personnages de leur choix. Cependant ce choix se fait parmi un répertoire influencé par la culture. Les personnages féminins dans les jeux vidéo, la science-fiction, les comic books ou les bandes dessinées sont moins nombreux que les personnages masculins. Elles occupent plus rarement des personnages principaux et plus fréquemment des rôles secondaires. On retrouve en très grande majorité des femmes blanches, minces, jeunes et sexy qui correspondent également à des critères de beauté très peu réalistes. Les costumes et la posture des personnages féminins reflètent ces aspect.  




D’ailleurs, The Hawkeve Initiative le souligne bien au sujet des bandes dessinées. Le concept est simple, on remplace un dessin de personnage féminin dans une posture impossible/hypersexualisée par un superhéro masculin. 




  


 Un homme a d’ailleurs transposé cette initiative artistique au cosplay


Source

Bref, la culture geek tend à limiter les choix de personnages féminins à interpréter tant au niveau du nombre que de la diversité.


«Cosplay is not consent»
De manière plus concrète, le sexisme vécu lors des conventions de cosplay a engendré le mouvement «Cosplay is not consent» (Un costume n’égale pas le consentement). Durant les derniers mois, de plus en plus de cosplayers ont fait part de leurs expériences de harcèlement lors des conventions ou en ligne. Le harcèlement décrit par les femmes passe par des commentaires sur leur physique, des photos prises sans leur consentement, des questions inappropriées, des attouchements, des agressions ou des menaces. «Cosplay is not consent» permet donc de parler du problème, de sensibiliser la communauté geek et de créer des espaces plus sécuritaires. Initiative d’autant plus importante que lorsque des femmes rapportent qu’elles ont subi du harcèlement, on peut lire ou entendre des propos qui s’apparentent énormément à ceux qui vise à rendre responsable les victimes d’agressions sexuelles. 
«Son costume était provoquant, elle cherchait de l’attention. »
«S’habiller comme ça dans des évènements de gars, c’est sûr que... »
«Elle n’aurait pas dû porter un costume aussi sexy»
Bref, des commentaires qui sous-entendent que le costume d’une cosplayer est une invitation au harcèlement. Bien sûr, ceux-ci oublient que même des cosplayers, littéralement couverts de la tête aux pieds subissent des traitements semblables




Normes raciales et critères de beauté
Le harcèlement n’est pas le seul élément qui fait en sorte de créer un climat peu sécuritaire et inclusif dans le monde du cosplay. Ce qui est considéré comme la « norme » au sein de la  communauté geek est également un produit de la société. Beaucoup d’attention est accordée aux femmes cosplayers qui correspondent aux critères de beauté et qui incarne des personnages sexy. Des galeries de photos de « hot female cosplayers » leur sont dédiées. 

D’un autre côté, certains individus se moquent des cosplayers qui choisissent des personnages qui ne correspondent pas à leur genre, leur couleur de peau ou leur type de corps. Ces moqueries se manifestent notamment par les galleries de « Cosplay épic win vs épic fail », qui comparent deux photos du même personnage mais interprété par deux cosplayers différents, une considérée comme une réussite et l’autre un échec. La différence est rarement reliée au costume en tant que tel, mais se trouve essentiellement dans le fait qu’une des deux personnes correspond aux standards de beauté  et l’autre non.
On peut également lire sur le web plusieurs commentaires qui mentionnent qu’un ou une cosplayer qui serait gros-se ne devrait pas jouer de personnage mince ou bien que « pour une personne noire, elle a quand même bien réussi son cosplay. »

D’ailleurs à ce sujet, un témoignage très pertinent de Chaka Cumberbatch suite à une importante polémique lorsqu’elle a publié sur le net une photo de son cosplay d’un personnage de Sailor Moon.


« Online, I was "Nigger Venus," and "Sailor Venus Williams" because I am black.
My nose was too wide, lips were too big, I had a "face like a gorilla" and wasn't suited for such a cute character, because I am black. My wig was too blonde, my wig wasn't blonde enough, or, my wig was ghetto because I was making it ghetto, by being black and having it on my head. »

Traduction
«Sur le net, j’étais surnommée "Nigger Venus" et "Sailor Venus Williams" parce que je suis noire.
Mon nez était trop large, mes lèvres trop grosses, j’avais un "visage de gorille" et je ne correspondais pas bien à ce joli personnage, parce que j’étais noire.  Ma perruque était trop blonde, pas assez blonde ou bien ma perruque faisait guetto parce que je la rendais ghetto en était noire et en la portant. »



Les témoignages ne manquent pas et voici un autre court extrait d’un article tout aussi intéressant de Tabitha Grace Smith sur les raisons pour lesquels elle ne fait pas de cosplay.

«While my body image and confidence are usually fine, going to a big convention filled with scantily clad hotties sends my shields up. I’ve been in earshot of people who snicker and laugh at the plus-sized Batgirls or other cosplayers who don’t fit the skinny actresses they’re portraying. Once I asked one of these curvy girls to pose for a picture and genuine shock crossed her face. Othert imes it’s been a large man in a Roman gladiator outfit who gets laughed at or the plus-sized Princess Leia. Every time I heard these snickers and laughs I was less comfortable with dressing up. »
 Traduction
«Alors que ma perception de moi-même et ma confiance en moi sont habituellement assez bonnes, aller à une grande convention rempli de jolies filles légèrement vêtues me met sur la défensive. J'ai entendu des gens ricaner et se moquer de Batgirls plus-size et d'autres cosplayers qui ne correspondaient pas aux actrices maigres qu'elles interprètaient. Une fois, j'ai demandé à l'une de ces jeunes filles plus rondes de poser pour une photo et un véritable choc a traversé son visage. Une autre fois, c’était un homme en surplus de poids dans un costume de gladiateur romain qui faisait de rire de lui ou une princesse Leia plus-size . Chaque fois que j'ai entendu ces ricanements et ces rires, j'étais moins à l'aise avec le fait de me costumer. »
Tous ces jugements, ces railleries et insultes font en sorte de rendre le cosplay pénible pour plusieurs personnnes ou carrément inenvisageable. Ce constat est encore plus affligeant quand on pense que la plupart des personages de jeux video ou de comic books ont de toute façon des corps humainement impossible à atteindre. Ainsi, le corps des participants et participantes subit une forme de contrôle social par la valorisation ou la dévalorisation des cosplayers.  D’ailleurs, il semble y avoir des liens à faire avec d’autres formes de contrôle social où le corps, surtout celui des femmes, se transforme en propriété publique où tous et chacun peuvent juger comme c’est le cas pour le harcèlement de rue ou les creepshots

Bien qu’inspiré d’univers fictifs, le monde du cosplay reproduit des embûches bel et bien réelles pour les femmes, les personnes racisées et en surplus de poids. De prime abord, ce portrait peut sembler sombre, mais la grande quantité et qualité des textes de réflexion sur les problématiques vécues dans le monde du cosplay montre un désir de changement. Plusieurs conventions se sont doté de règles plus strictes contre le harcèlement, des initiatives viennent souligner de  manière positive la participation des personnes racisées et en surplus de poids et de plus en plus de matériel aborde ces sujets. D’ailleurs, pour  terminer voilà un court vidéo qui décrit les réalités vécues par des cosplayers.  



Pour en savoir plus :

Human Angle: Cosplaying The Part  (Vidéo)

Cosplay, Race, and Fat-Shaming
Despite the Haters, I Love Cosplay.

Cosplayers Are Passionate, Talented Folks. But There's A Darker Side To This Community, Too.

Cosplay Is Not Consent

Costumes Are Not Consent: Combating Cosplayer Harassment

The Beginnings of CONsent

I'm a Black Female Cosplayer And Some People Hate It

Race + Fandom: When Defaulting To White Isn’t An Option

What would you do if you weren’t afraid?

The Cosplay Feminist

Fuck Yeah Fat Cosplay/

More to Love: Fat-Positive Cosplay

Of Corsets and Comics

In defense of Fat Cosplay

Why I Don’t Cosplay

Cosplays With color

Cosplay and Body Type – It Doesn’t Matter!!


Wonderella