mercredi 12 août 2009

Clito, clito par-ci, clito, clito par là...

Un article très intéressant d'Agnès Giard, publié sur son blog Les 400 culs.

12/08/2009

Excision psychique et premiers pas sur la lune

L’écrivain Jean-Claude Piquard vient de publier sur Internet le résultat de recherches étonnantes en histoire de la médecine: saviez-vous que le mot "clitoris" avait disparu dans les années 60 de la plupart des dictionnaires en Europe et aux Etats-Unis?

Le clitoris est câblé sur un réseau de nerfs à la densité telle que dès la fin du XIXe siècle, les anatomistes qui le dissèquent établissent que le clitoris est l’organe du plaisir N°1 chez la femme. En 1851, Le Dr Kobelt explique: "Le petit nombre de nerfs sensitifs qui s’enfoncent isolément dans le conduit vaginal, place sous ce rapport ce dernier tellement en-dessous du gland du clitoris, qu’on ne peut accorder au vagin aucune participation à la production du sentiment voluptueux dans l’orgasme féminin." En 1853, le Dr Debay écrit: "organe de la volupté chez la femme, le clitoris est la miniature de membre viril." Le docteur Guyot, en 1882, conseille aux maris de se livrer à des frictions délicatement exercées le long de clitoris qui est le seul siège du sens et du spasme génésique chez la femme.

Hélas, une découverte scientifique sonne en 1875 la décadence du clitoris: le Dr Edouard Van Beneden découvre le processus de la procréation, avec la fonction de l’ovule. “Coup dur pour le clitoris qui n’a alors plus aucun rôle dans la procréation, sa seule fonction étant uniquement le plaisir de la femme.” Dans son étude -Grandeur et décadence du clitoris- l’écrivain Jean-Claude Piquard, décrit avec précision la terrible descente aux enfers du clitoris. “L’interdit de la masturbation se répand très vite en Occident, dit-il, avec de nombreux cas d’excisions punitives sur de jeunes masturbatrices, parfois très jeunes, dès 5 ans, excisions pratiquées toutefois par des médecins isolés, la communauté médicale étant généralement plus modérée. Progressivement, les scientifiques désignent le vagin comme l’unique organe sexuel féminin, occultant ainsi de plus en plus le clitoris. A Vienne, en 1886, le célèbre psychiatre aliéniste Richard Von Kraff-Ebing écrit Psychopathia sexualis. Il y décrit un distinguo chronologique où deux zones érogènes se succèdent dans la maturation de l’individu: le clitoris chez la femme vierge; le vagin et le col de l’utérus après la défloration.

Vient Freud. Adoptant les théories du Dr Von Kraff-Ebing (ils habitent dans la même ville), Freud les amplifie: “Il reconnaît le clitoris comme lieu du plaisir de la petite fille jusque vers cinq ans. Mais la femme adulte doit, selon Freud, changer de zone directrice pour s’épanouir par la pénétration. Tout usage adulte du clitoris devient alors immature et régressif !”. Jean-Claude Piquard parle alors d’une véritable forme d’excision psychique et culturelle.

Sous l’influence du freudisme et de la médecine, le clitoris est progressivement gommé des manuels. Il n’est plus nommé. Parfois même il n’est plus représenté. Alors qu’au tout début du XXe siècle, suite aux travaux du Dr Kobelt, le clitoris est représenté et nommé avec précision dans tous les manuels anatomiques et dans les traités de médecine, il disparait dès l’après-guerre et jusqu’à la fin des années 70. “En 1948, le clitoris reste représenté mais il n’est plus nommé. Entre 1960 et 1971, dans la moitié des livres d’anatomie médicale, le clitoris a complètement disparu! Pour les autres, il apparaît à peine, sans être nommé, parfois sous forme d’un petit vers. L’obscurantisme clitoridien bat donc son plein dans les années 1960 tandis que l’Homme pose ses premiers pas sur la lune.

Pauvre clitoris. Rayé, raturé, caviardé, remplacé par un blanc, une zone de silence. Lui qui procure des orgasmes semblables à des crises d’hystérie. Des orgasmes comme des geysers. Des orgasmes qu'Apollinaire compare à des incendies, avec des mots inspirés par les pluies de bombes de la première guerre mondiale:

"Jolie bizarre enfant chérie
Je touche la courbe singulière de tes reins
Je suis des doigts ces courbes qui te font faite
Comme une statue grecque d'avant Praxitèle
Et presque comme une Eve des cathédrales
Je touche aussi la petite éminence si sensible
Qui est ta vie même au suprême degré
Elle annihile en agissant ta volonté toute entière
Elle est comme le feu dans la forêt
Elle te rend comme un troupeau qui a le tournis
Elle te rend comme un hospice de folles

Où le directeur et le médecin-chef deviendraient
Déments eux-mêmes
"

L'étude de Jean-Claude Piquard (auteur d'un livre indispensable sur la différence entre la jouissance et l'orgasme) sera bientôt publiée, en entier, dans un livre consacré à l'histoire du plaisir et de la sexologie. Grandeur et décadence du clitoris.